Les députés s’unissent contre la greedflation et le pouvoir des monopoles dans les systèmes alimentaires du Canada

Un rapport d’une commission multipartite recommande à l’unanimité de prendre des mesures pour lutter contre les profits, la concentration et l’insécurité alimentaire, mais risque de compromettre la Stratégie en matière de saine alimentation de Santé Canada.

Par Marissa Alexander et Wade Thorhaug
(Publié à l’origine pour le Hill Times, le 1er juillet 2024)

Alors que les Canadiens continuent de lutter pour payer leurs factures d’épicerie, il est réconfortant de voir que les différents partis s’accordent sur la nécessité de s’attaquer aux profits excessifs et de limiter le pouvoir des monopoles. Les recommandations du récent commission de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des représentants (AGRI)  sur la volatilité des prix des denrées alimentaires font suite à des mois d’auditions.

Le rapport reconnaît que les oligopoles et les monopoles tirent des profits déraisonnables aux dépens des agriculteurs et des consommateurs, et demande une action gouvernementale efficace. L’économiste Jim Stanford a témoigné en tant qu’expert devant la commission, l’une des rares voix à s’exprimer en dehors des entreprises agroalimentaires. Il a mis l’accent sur les profits records réalisés par les entreprises qui ont alimenté l’inflation des prix des denrées alimentaires depuis la pandémie. Lors d’un récent webinaire de Réseau pour une alimentation durable (RAD) sur l’inflation avide, il a souligné que ce ne sont pas les agriculteurs ou les travailleurs qui s’enrichissent grâce aux prix élevés, mais bien les grandes entreprises et leurs actionnaires.

Bien que bienvenue, la recommandation du rapport sur la lutte contre le profit manque de spécificités, et c’est dans les détails que le bât blesse. La recommandation visant à réduire le pouvoir des monopoles offre des pistes importantes pour renforcer le droit de la concurrence, notamment en empêchant ou en dissolvant les fusions et en faisant peser la charge de la preuve sur les entreprises. C’est un début. Le National Famers Union a défini d’autres moyens solides pour lutter contre la concentration rampante, non seulement dans le secteur de l’alimentation, mais aussi dans celui des intrants agricoles tels que les semences, les engrais et les machines agricoles, ainsi que dans celui de la fabrication de denrées alimentaires. Tous ces secteurs sont dominés par une poignée d’entreprises.

Le gouvernement fédéral a mis l’accent sur un Code de conduite pour les produits alimentaires afin de promouvoir la transparence et l’équité entre les fabricants de produits alimentaires et les détaillants, mais il n’inclut pas de dispositions relatives à l’équité avec les consommateurs. En outre, la version actuelle du “code” est volontaire et n’est pas de nature à limiter le pouvoir excessif des entreprises. Les cinq grands distributeurs (Loblaw, Metro, Sobeys, Walmart et Costco) détiennent 80 % des parts de marché. La commission de l’Agriculture recommande au gouvernement fédéral de collaborer avec les provinces et les territoires en vue de l’adoption d’une législation qui rendrait les dispositions obligatoires. Cependant, Stanford a décrit le code comme “Godzilla contre King Kong”, où une lutte entre les fabricants et les détaillants n’apportera que des avantages marginaux aux consommateurs.

Il est encourageant de constater que le rapport AGRI recommande de supprimer les obstacles au marché canadien de la vente au détail de produits alimentaires. Mais les discussions donnent la priorité à l’attraction des multinationales étrangères et numériques, et non au renforcement des entreprises locales. Le RAD préconise plutôt des approches transformatrices et (w)holistiques de la façon dont les Canadiens font leurs courses et mangent, englobant les marchés publics, les coopératives et les magasins solidaires, l’agroécologie, ainsi que les modes d’alimentation des pouplations noires et autochtones – qui existent déjà mais se heurtent à des obstacles systémiques tels que le manque de financement et l’accès aux chaînes d’approvisionnement dominées par les grandes entreprises.

En ce qui concerne l’insécurité alimentaire, le Comité s’est penché sur la question de l’accessibilité dans les régions éloignées. Comme tant d’autres avant lui, le Comité recommande que le programme gouvernemental de subventions Nutrition Nord, géré par les détaillants, soit réexaminé. Une étude récente montre qu’alors que plus des deux tiers des ménages du Nord connaissent l’insécurité alimentaire, seulement 67 cents de chaque dollar de subvention sont utilisés pour faire baisser les prix. Les détaillants ne répercutent pas l’intégralité des bénéfices sur les consommateurs, comme ils sont tenus de le faire. La plupart des communautés éloignées ne comptent qu’une ou deux épiceries, ce qui crée un monopole naturel.  La moitié de tous ces fonds publics va à la North West Company, dont le siège est à Winnipeg, et qui domine le commerce de détail dans le Nord. Bien qu’un examen plus approfondi soit le bienvenu, nous savons déjà que les programmes d’alimentation issus de la chasse et de la récolte locales doivent être mieux soutenus, tout comme les coopératives gérées par les populations autochtones.

L’autre recommandation du Comité sur l’insécurité alimentaire manque également de détails, recommandant que la politique alimentaire pour le Canada mette l’accent sur l’abordabilité des aliments. Le RAD et d’autres organisations vont beaucoup plus loin, préconisant un objectif gouvernemental de réduction de l’insécurité alimentaire de 50 % et l’élimination de l’insécurité alimentaire grave d’ici 2030. 

Enfin, la recommandation du Comité de l’Agriculture sur l’étiquetage sur le devant de l’emballage, qui vise à “équilibrer” la santé publique et les préoccupations des entreprises, apparemment en raison des implications en termes de prix, est le dernier effort en date des entreprises pour s’opposer à la stratégie du Canada en matière d’alimentation saine. La réglementation sur l’étiquetage a finalement été introduite en 2022 et sera obligatoire d’ici 2026. Nous ne pouvons pas la laisser disparaitre. L’étiquetage visible des aliments transformés, riches en sel, en sucres et en graisses saturées permet une alimentation plus saine, avec d’énormes avantages potentiels pour les individus et les finances publiques (par exemple, en réduisant les coûts de santé pour les maladies liées à l’alimentation). Quatre-vingt-un pour cent des Canadiens sont favorables à cet étiquetage.

Le Comité a demandé au gouvernement de répondre à ses recommandations. Nous suivrons de près l’évolution de la situation.


Marissa Alexander et Wade Thorhaug sont codirecteurs exécutifs de Réseau pour une alimentation durable.
Alexander a passé la majeure partie de sa carrière à explorer les intersections de la sécurité alimentaire, de l’équité et de la justice sociale. Thorhaug a une grande expérience de la défense de l’abordabilité dans les communautés du nord du Canada, des systèmes alimentaires autochtones locaux et de la refonte du programme Nutrition Nord Canada.