BUDGET 2024 : Une occasion manquée pour parler du probleme de l’accesibilite alimentaire

Par Marissa Alexander et Wade Thorhaug, Co-Directeurs Exécutifs, Réseau pour une alimentation durable

Lorsque la ministre des Finances a présenté son budget le 16 avril, les Canadiens espéraient que des mesures seraient prises pour remédier à la crise de l’insécurité alimentaire. En 2023, 8,7 millions de personnes – dont plus d’un enfant sur quatre – ont souffert d’insécurité alimentaire. Il s’agit des taux les plus élevés enregistrés depuis que le Canada a commencé à les surveiller. Le schéma de la faim reflète également la persistance du colonialisme et du racisme structurel au Canada, avec des pourcentages stupéfiants de personnes vivant dans l’insécurité alimentaire parmi les ménages noirs (40,4 %), autochtones (36,8 %) et latino-américains (31,1 %) . Ces chiffres ne tiennent pas compte des personnes vivant dans les réserves des Premières Nations, dans certaines régions isolées du Nord, ni des personnes non logées – des groupes exposés à un risque élevé d’insécurité alimentaire. Le Canada doit faire beaucoup mieux. 

Le budget 2024 renforce le filet de sécurité sociale de manière essentielle, notamment en finançant l’important programme national de restauration scolaire. Cependant, il ne centre pas les mesures visant à garantir l’accessibilité des denrées alimentaires, un aspect essentiel de la sécurité alimentaire. Si ce gouvernement est sérieux au sujet de l’accessibilité alimentaire, il doit adopter une approche en trois volets. Premièrement, s’attaquer à la pauvreté : La principale raison pour laquelle les gens n’ont pas un accès fiable à une alimentation suffisante, saine et culturellement appropriée est qu’ils n’ont pas d’argent. À l’avenir, les budgets devront prévoir des aides au revenu solides et fiables. Des propositions concrètes sont sur la table, notamment : la mise en œuvre et le financement adéquat des suppléments pour les personnes en âge de travailler, des prestations d’invalidité et de logement, une réforme complète de l’assurance-emploi, des salaires minimums décents et un revenu de base

Fondamentalement, les aides au revenu doivent être mesurées à l’aune de l’obligation du Canada de respecter le droit à l’alimentation. Des objectifs précis et clairs sont essentiels : le Conseil consultatif canadien sur les politiques alimentaires et les organisations de sécurité alimentaire ont demandé au gouvernement de s’engager à réduire l’insécurité alimentaire globale de 50 % et à éliminer complètement l’insécurité alimentaire grave d’ici à 2030.

Deuxièmement, le gouvernement doit renforcer ses efforts pour freiner les profits déraisonnables des entreprises, le budget 2024 ne prévoyant que très peu de nouvelles mesures. Selon le Bureau de la concurrence du Canada, en 2022, les trois plus grandes épiceries du Canada – Loblaws, Sobeys et Metro – ont réalisé collectivement des bénéfices de 3,6 milliards de dollars. Et, depuis la pandémie, leurs bénéfices ont augmenté de 46 %. La contraction des prix ou “shrinkflation” (réduction des quantités mais pas des prix) et la réduction des coûts ou “skimplfation” (réduction de la qualité des ingrédients) ne sont que quelques-unes des tactiques utilisées par les entreprises pour accroître leurs bénéfices. Un examen plus approfondi et une législation plus poussée sont nécessaires. 

L’étude du Bureau de la consommation, qui souligne le manque criant de concurrence dans le secteur de l’alimentation, est un pas dans la bonne direction. Mais elle a été considérablement entravée par l’incapacité de forcer les entreprises à fournir des détails sur les prix et par l’absence d’obligation de donner suite aux recommandations. Les auditions parlementaires sur les prix élevés des denrées alimentaires, qui ont contraint les PDG des magasins d’alimentation à témoigner, ont également constitué des contributions utiles. Le PDG de Loblaws (rémunération totale en 2022 : 11,7 millions de dollars) a notamment fait un témoignage très remarqué en déclarant que “nos bénéfices ne me reviennent pas”, mais ces auditions n’ont pas eu non plus de mordant. Le résultat ? Un code de conduite “volontaire” pour les épiceries, que toutes n’ont pas accepté de suivre. 

Il est nécessaire de prendre des mesures énergiques et audacieuses pour libérer les Canadiens de l’emprise des grandes sociétés alimentaires, notamment en adoptant des codes de conduite et des politiques anti-fusion applicables aux produits alimentaires et en favorisant l’épanouissement des petits détaillants indépendants. Une imposition immédiate des “bénéfices exceptionnels” devrait être utilisée pour financer un paysage de la distribution et de l’approvisionnement alimentaire plus équitable et plus diversifié.

Troisièmement, les plans gouvernementaux devraient prévoir des investissements importants dans des approches (w)holistiques (englobant les aspects de justice, de résilience et de durabilité écologique, ainsi que les aspects économiques). Tout le monde ne se nourrit pas auprès des grandes entreprises. Les modes d’alimentation autochtones, notamment la chasse, la pêche et la cueillette, sont à la base de l’alimentation, de la culture et de la communauté depuis des temps immémoriaux, mais ils sont de plus en plus menacés. Des mesures doivent être prises pour faire respecter les droits issus des traités et pour soutenir et reconnaître les initiatives autonomes des Premières nations, des Inuits et des Métis en matière de souveraineté alimentaire. Entre-temps, les mécanismes locaux et régionaux de commercialisation des produits alimentaires, tels que les coopératives alimentaires, les ventes directes à la ferme, l’agriculture et la pêche communautaires, les marchés de producteurs et l’approvisionnement des magasins locaux en produits locaux, offrent aux consommateurs des alternatives aux grandes épiceries et renforcent la résilience et la durabilité à long terme. 

Pour garantir une alimentation abordable, des investissements sont nécessaires dans ces trois domaines : garantir des revenus adéquats, maîtriser et réorienter les profits des entreprises, et soutenir des approches (w)holistiques de l’approvisionnement alimentaire. Le budget 2024 a été une occasion manquée.  Nous comptons sur le gouvernement pour prendre des mesures audacieuses et globales à l’avenir.