Vers une alimentation juste et durable : Le rôle des épiceries solidaires et des coopératives alimentaires

Face aux multiples crises actuelles, le système alimentaire actuel peine à répondre aux besoins de toutes et de tous. 

La transition socio-écologique nécessite de se questionner sur sa durabilité et de revoir ses composantes pour qu’elles soient plus humaines, résilientes et équitables : de la production, à  la transformation en passant par la distribution et la consommation.

Cet article s’attardera sur la distribution des aliments et explora comment les épiceries solidaires et coopératives alimentaires peuvent se poser comme des alternatives plus transparentes aux multinationales qui dominent les marchés. 

Qu’est-ce qu’une épicerie solidaire et coopérative alimentaire ?

Les épiceries solidaires et coopératives alimentaires sont des commerces de proximité, fondés par et pour la communauté, qui visent à fournir des aliments à prix abordables. Contrairement aux supermarchés traditionnels, ces épiceries fonctionnent sur un modèle sans but lucratif où la gestion démocratique, l’ancrage territorial et la priorisation des besoins des personnes qu’elles desservent font leur essence.  Elles se situent souvent dans des territoires mal desservis où il peut être plus difficile de s’approvisionner.

Selon Ici Coop, le réseau des coopératives d’alimentation au Québec, « une coopérative appartient à ses membres, qui en sont aussi les usagers. Elle vise à maximiser leurs avantages, à la fois comme clients de l’épicerie, mais également comme citoyens du milieu. Et dans une coop, tous les membres sont égaux.» Dans une coopérative, les membres ont droit à des rabais et peuvent bénéficier de ristournes si l’entreprise fait des bénéfices. Les membres sont le cœur de la coopérative : ils sont sa raison d’exister et d’opérer. 

L’épicerie solidaire quant à elle se retrouve souvent à mi-chemin entre les grands supermarchés et les banques alimentaires. Territoires innovants en économie sociale et solidaire (TIESS) mentionne que « l’appellation ‘épicerie solidaire’ est couramment utilisée pour définir une multitude de modèles d’épiceries qui ont comme mission sociale (plus ou moins explicite) de participer à la réduction des inégalités sociales en alimentation (Gros, 2014) en favorisant l’accessibilité économique à des aliments sains et frais, dans la dignité »

Les deux mettent l’emphase sur l’abordabilité des aliments et s’inscrivent dans une logique de réappropriation collective de l’alimentation. 

Comment les épiceries solidaires et coopératives alimentaires contribuent-elles ?

Les épiceries solidaires et coopératives alimentaires représentent bien plus qu’un simple lieu d’achat d’aliments. Elles incarnent les valeurs de solidarité, d’autonomie et de démocratie, tout en contribuant à la construction d’un système alimentaire plus juste, plus durable et plus équitable pour tous. 

  • Redistribution du pouvoir : En permettant aux membres de la communauté de participer activement à la gestion et à la prise de décisions concernant leur approvisionnement alimentaire, ces épiceries contribuent à redistribuer le pouvoir dans le domaine alimentaire, renforçant ainsi la souveraineté alimentaire des communautés.
  • Accessibilité : En rendant accessible les aliments dans des zones mal desservies ou éloignées, ces épiceries contribuent à réduire les inégalités en matière d’accès à une alimentation saine.
  • Variété et diversité : En proposant une variété d’aliments culturellement diversifiés, ces épiceries répondent aux besoins spécifiques des différentes communautés, favorisant ainsi l’inclusion et la diversité culturelle.
  • Approvisionnement local : Beaucoup de ces épiceries s’approvisionnent auprès de producteurs locaux et de coopératives agricoles, favorisant ainsi l’économie locale et réduisant l’empreinte carbone associée au transport des aliments. Certaines coopératives, dans le cadre de leur mission, « maintiennent des pratiques d’achat et de vente respectueuses des producteurs qui vont au-delà de celles des autres détaillants [Traduction libre]. »
  • Prix abordables : En éliminant les intermédiaires et en réduisant les coûts de fonctionnement, ces épiceries sont en mesure de proposer des aliments à des prix abordables pour les membres de la communauté. Comme elles ne focalisent pas sur le profit à tout prix, elles sont capables de vendre des aliments avec des marges plus petites que les chaînes traditionnelles. 
  • Distribution équitable : Les épiceries solidaires et coopératives alimentaires mettent l’accent sur une distribution équitable des aliments, en veillant à ce que personne ne soit laissé pour compte.
  • Innovation sociale : Ces initiatives témoignent d’une approche novatrice pour résoudre les problèmes sociaux, en mettant l’accent sur la collaboration, la solidarité et la durabilité.

Souveraineté alimentaire ou sécurité alimentaire : comment les épiceries et les coopératives contribuent à redonner le pouvoir aux communautés

Par leur modèle de fonctionnement basé sur la solidarité et la coopération, les épiceries solidaires et coopératives illustrent concrètement comment les communautés peuvent reprendre le contrôle sur leur approvisionnement et distribution alimentaires. Cette démarche offre un contraste avec les approches traditionnelles de la sécurité alimentaire, qui se concentrent principalement sur l’aspect de l’accès à la nourriture sans nécessairement remettre en question qui contrôle  la distribution des aliments. Cela nous mène naturellement vers une question plus vaste et profonde : quelle est la différence entre la sécurité alimentaire et la souveraineté alimentaire ? Ces deux concepts sont étroitement liés mais diffèrent dans leur approche et leurs objectifs :

La sécurité alimentaire se réfère à la disponibilité physique des aliments, à l’accès socio-économique et culturel à la nourriture, l’assimilation alimentaire – et à la stabilité de ces trois dimensions dans le temps – sans compromettre la santé ni le bien-être des personnes. Cela implique souvent des politiques et des programmes visant à garantir que personne ne souffre de la faim ou de la malnutrition. Sème l’avenir écrit que la sécurité alimentaire « conçoit la nourriture comme un produit commercialisé et la faim comme le résultat d’une production insuffisante et d’un manque d’accès » – nous trouvons que cela expose très bien le problème latent de ce concept. Reconnaissant que la définition de la sécurité alimentaire évolue, Jennifer Clapp, Chaire de recherche du Canada en sécurité alimentaire globale et durabilité à l’Université de Waterloo, soutient qu’il est « temps pour une mise à jour formelle de notre définition de la sécurité alimentaire pour inclure les dimensions d’agentivité et de durabilité », rapprochant ainsi ce concept de celui de souveraineté alimentaire.

Cela nous conduit donc à examiner de plus près le concept de la souveraineté alimentaire. Il faut d’abord savoir que  celle-ci est définie différemment par chaque personne, communauté et groupe. La définition proposée par Via Campesina semble regrouper la majorité des éléments conjoints, en articulant la souveraineté alimentaire comme le droit des peuples à définir leurs propres politiques alimentaires et agricoles. Cette définition englobe la protection et la régulation de la production agricole, et surtout, elle reconnaît l’importance des systèmes alimentaires autochtones, qui s’étendent au-delà de l’agriculture traditionnelle pour inclure une gestion holistique des écosystèmes. En mettant en lumière la nécessité pour les communautés de prendre le contrôle de leur approvisionnement alimentaire, y compris par des moyens non agricoles, la souveraineté alimentaire met en avant la nécessité d’une alimentation saine, abordable et culturellement adaptée pour tous. Dans un pays comme le Canada, où les quelques grandes bannières contrôlent majoritairement les marchés alimentaires et où l’accès à la terre est difficile,  la souveraineté alimentaire devient un enjeu crucial.

Ainsi, alors que la sécurité alimentaire se concentre sur l’assurance que les individus ont suffisamment à manger, la souveraineté alimentaire va plus loin en cherchant à garantir que les communautés ont le pouvoir de décider de ce qu’elles produisent, consomment et échangent sur leurs propres territoires. En promouvant la souveraineté alimentaire, nous visons non seulement à éliminer la faim, mais aussi à construire des systèmes alimentaires justes, durables et démocratiques qui respectent les droits des producteurs, des consommateurs et de l’environnement. Dans ce contexte, les épiceries solidaires et coopératives alimentaires sont un joueur essentiel de la souveraineté alimentaire, permettant aux communautés de se réapproprier la distribution alimentaire – une composante de tout système alimentaire. 

Quelques exemples  d’épiceries solidaires et de coopératives ancrées dans leur communauté

Fireweed Food Co-op est une coopérative non lucrative du Manitoba qui soutient les producteurs et promoteurs d’aliments durables locaux. Fondée sur l’idée que l’agriculture à petite échelle est essentielle pour la durabilité écologique, elle cherche à contrer les désavantages que le système alimentaire globalisé impose aux petits agriculteurs. En proposant un marché plus large  pour les aliments locaux et durables – à travers leur marché fermier, leur programme  « Veggie Van », et leurs autres programmes alimentaires – Fireweed vise à rendre la nourriture de qualité plus accessible à tous. En devenant membre, on participe à la création d’un système alimentaire local plus robuste et résilient. Fireweed Food Co-op aspire à un système alimentaire régional qui est non seulement écologiquement durable et équitable, mais aussi collaboratif, en mettant l’accent sur l’accessibilité à de bons aliments pour la communauté. La coopérative œuvre pour un avenir alimentaire démocratique, durable et juste pour tous, renforcé par une vision claire : réduire les barrières et augmenter la participation dans le système alimentaire local, de la production à la consommation.

La Coopérative Communautaire de St. James Town (SJTC), établie en 2015 à Toronto, répond aux besoins d’une des communautés les plus diversifiées au monde. Elle se concentre sur l’amélioration de la sécurité alimentaire et la résilience climatique. Située dans un quartier à forte densité et à faible revenu, où résident majoritairement des nouveaux arrivants parlant plus de 140 langues, SJTC promeut l’autonomie alimentaire. À travers des initiatives telles que l’épicerie Good Food Buying Club et le Hub Alimentaire OASIS, ainsi qu’en développant les compétences des résidents, SJTC vise à rendre l’alimentation saine plus accessible. Ces efforts contribuent également à renforcer la cohésion sociale et à développer une économie communautaire résiliente – essentielle pour surmonter les barrières à l’emploi et pour améliorer le bien-être général de la communauté. En devenant membre de SJTC, les individus contribuent activement à la construction d’un avenir où un système alimentaire local, résilient, inclusif et solidaire devient une réalité.

Ti Frais est une initiative québécoise qui vise à rendre l’alimentation plus accessible aux diverses communautés présentes dans son quartier, tout en valorisant les produits locaux et la diversité culturelle. Cette épicerie solidaire verra le jour au printemps 2024. Ti Frais entend proposer des aliments de qualité à des prix abordables, répondant ainsi aux besoins des diverses communautés présentes à St-Henri, quartier montréalais. Dimitri Espérance, fondateur, explique : « Chez Ti frais, notre mission va bien au-delà de simplement nourrir nos corps. Nous croyons fermement en l’idée que l’alimentation est un pont culturel, une passerelle vers la compréhension et la célébration de nos diversités. Notre engagement  réside dans notre volonté de démocratiser l’accès culturel aux aliments, notamment en faisant des partenariats avec des fermes québécoises qui se spécialisent dans les légumes africains. » Ti Frais cherche donc à apporter sa contribution à un système alimentaire plus juste et soutenable, en mettant l’accent sur l’importance de l’accès à la nourriture pour tous.

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